Le commandant Wolff est le chef
de corps des sapeurs-pompiers de Soissons, une ville chargée de quatorze siècles
d’histoire. Il est calme, pondéré, expérimenté. C’est aussi un homme sûr,
loyal. Il a été délégué à Vailly, en cette journée du 18 septembre 1881, par le
gouvernement pour qu’il rende compte de l’ampleur et de la teneur du
rassemblement proposé par le capitaine Charles Michel de Vailly.
Un homme étonnant ce Charles
Michel, qui déjà en 1873 avait fait paraître une brochure pour proposer un
projet d’organisation de la « profession » comme disaient les
volontaires à cette époque. Il eût même droit à une lettre de félicitations du
gouvernement. C’est un homme inspiré, énergique, au visage hiératique, fils
d’un pompier héros mort au feu, et il veut fédérer les officiers et
sous-officiers de son département de l’Aisne. Il les convie à Vailly ce 18
septembre.
En effet, les pompiers sont mécontents
du décret de 1875, réorganisant les sapeurs-pompiers après la dissolution de la
garde nationale. Ce décret a donné lieu à quatre ans d’atermoiements, de la
part des responsables des ministères entre des projets de nationalisation, de militarisation ou de maintien dans le
cadre communal, ce qui sera finalement choisi. Tout ceci, sans que les
sapeurs-pompiers ne fussent entendus. Ces hommes libres, pratiquant librement
de puis 100 ans un engagement citoyen au service de leurs concitoyens n’avaient
pas été consultés parce qu’ils n’avaient pas d’instance représentative !
Aussi, cette invitation de
Charles Michel va être débordée par ceux qui sont intéressés et vont venir de
bien au de-delà des limites de l’Aisne. Ils sont quatre-vingt-treize hommes présent,
plus ceux qui ne sont pas venus mais qui ont envoyé leur proposition écrite et leur adhésion. Ils sont
tous animés du sens des responsabilités qu’ils ont pris pour organiser les
secours, au nom des leurs et pour les leurs. Ce jour-là, ils sont venus pour créer
un espace fraternel, capable de tous les réunir et où ils s’administreront
eux-mêmes, en toute liberté, selon leurs propres règles !
Depuis 1789, ces organisations
fraternelles représentatives d’une région, d’un courant politique, d’une
association d’hommes liés par un même but, s’appellent des Fédérations. Elles ont d’ailleurs constitué l’essentiel de
l’histoire des premières années de la Révolution. Ce ne sont pas des
associations, au sens du terme où on l’entend, après la loi du 1er
juillet 1901, elles sont une façon de s’associer librement, pour s’organiser
entre citoyens participant à un même projet. Et comme leur premier but était de
se défendre contre les brigandages,
elles ont créé des gardes armées.
Et toutes ces fédérations se sont
rassemblées, sur le Champ de Mars, le 14 juillet 1790 pour fonder, la Fédération
Nationale, qui n’est autre que la Nation, elle-même, à laquelle avec le Roi,
ils ont tous juré leur foi. Le
rassemblement des gardes constitua la Garde Nationale.
Et bien, c’est cette idée qu’ils reprennent à leur compte les 93 pionniers de Vailly, d’autant plus naturellement qu’ils sont issus de la Garde Nationale. Ils créent donc, leur Fédération ; celle des officiers et des sous-officiers de sapeurs-pompiers de France et d’Algérie. Ils veulent une organisation libre, où ils échangeront des relations fraternelles entre pairs, une organisation qui portera la voix des pompiers de France, où ils soutiendront ceux d’entre eux qui seraient frappés par le malheur où ils pourront partager, échanger des expériences, en matière d’équipement, d’organisation, de formation, provenant de tous les coins de France.
Elle est spontanée, naturelle,
leur démarche comme celle qu’avaient eue leurs pères quatre-vingt-dix ans plus
tôt. Elle est généreuse. Elle est forte. Elle est toute dirigée vers l’intérêt
général. Elle est UNIVERSELLE.
Mais les temps ont changé. Le régime
autoritaire de l’empire, la défaite, les débuts hésitants, balbutiants, velléitaires
d’une République, votée par défaut,
ne plaident pas en faveur d’une organisation libre. Tout ce qui provient
de la Nation, dont la Fédération est une des expressions les plus pures est
suspect, et potentiellement dangereux pour le pouvoir. L’Etat est réticent et
son accord est obligatoire pour que la fédération soit reconnue, car il n’y a
pas de loi.
Le commandant Wolff fit un
rapport chaleureux sur la tenue de la réunion. Il décrivit la communion unanime
qui exista entre ces hommes, l’élan irrésistible, impétueux et irrépressible
qui les anima. IL relata que le Capitaine Michel avait décliné le poste de président
qui échut au Capitaine Léon Pathoux de Reims. Les buts de cette Fédération étaient
généreux, louables et les présents avaient été loyaux à l’égard du gouvernement.
D’ailleurs, ils ne voulaient pas parler de la création de la Fédération tant
qu’elle n’aurait pas été autorisée, par déférence à l’égard de l’Etat et pour
ne pas le placer devant le fait accompli et ruiner ainsi la chance d’obtenir
son accord.
Alors ils attendent. Le 13 mars
1882, ils savent qu’une dépêche donnant l’autorisation du gouvernement est
parvenue à la préfecture de la
Marne. Le Capitaine Patoux entra en possession de l’arrêté d’autorisation signé du préfet de la Marne, le 24 mars 1882.
La République avait su répondre
aux attentes des pompiers, reconnaissant, sans aucun doute, leur rôle premier
dans la constitution du ciment social qui lie les citoyens dans leur Nation. Et
puis nous sommes à une époque où le gouvernement cherche à créer un nouvel
imaginaire autour des symboles républicains : le drapeau tricolore, l’hymne national, la fête nationale. Elle est justement là
la raison majeure pour laquelle le ministère surmonte ses réticences et accorde
son autorisation : elle ne peut
interdire la constitution d’une Fédération sans contredire le Parlement, qui quinze mois plutôt, a choisi le 14 juillet comme date de la fête nationale, par
allusion au 14 juillet 1790 fête de la Fédération Nationale.
Il est là le trait de génie sublime de Charles Michel et Léon
Patoux !
Elle est dans l’assurance du résultat, leur patience intelligente !
Alors ils laisseront à leurs
successeurs le choix de déterminer la date de la fondation de la Fédération.
L’histoire retiendra le 24 mars,
date de réception de l’arrêté émanant du préfet de la Marne, en symbole du
loyalisme des sapeurs-pompiers, jamais départi au cours des âges à l’égard du gouvernement de la République.
Les assoiffés de précision
prendront le 13 mars, date de la dépêche
gouvernementale parvenue à la préfecture de la Marne.
Les nostalgiques et les esprits
libres préfèreront le 18 septembre 1881.
Enfin, ceux qui ont besoin de
tenir pour être assurés choisiront le 17 septembre 1882, date du premier congrès
à Reims où le président Pathoux
après le vote de l’Assemblée constatera « que la Fédération est réellement
constituée ».
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